
Emilio, naturellement, soutenait la Juventus, l’équipe des gentlemen, des pionniers de l’industrie, des Jésuites, des bien-pensants, de ceux qui avaient fait le lycée : des bourgeois riches, en un mot. Giraudo, tout aussi naturellement, était pour le Toro, l’équipe des ouvriers, des boutiquiers, des immigrés venus des localités voisines ou des provinces de Cuneo ou d’Alexandrie, de ceux qui avaient fait les écoles techniques, c’est-à-dire des petits-bourgeois et des pauvres. » Dans son roman Le due città (1964, publié en Français chez Plon sous le titre Les Deux Villes en 1966), Mario Soldati convoque le football pour planter le décor et opposer ses deux protagonistes, représentant l’un le centre-ville bourgeois, l’autre les périphéries ouvrières. Dans les années 1930, dans les grandes villes italiennes, l’antagonisme social est représenté par les derbys : l’aristocratique Lazio contre la plébéienne Roma, l’Ambrosiana-Inter des Pirelli face au Milan du peuple rossonero et, donc, Juventus-Torino. Mais à Turin, l’opposition bourgeoisie-peuple n’est pas figée dans le marbre. Jusque dans les années 1950, le caractère populaire du football est incarné par les joueurs du Torino, mais cette particularité s’étend par la suite aux footballeurs de la Juventus. Sans oublier les supporters, qui revendiquent d’incarner le club contre ceux qui les dirigent. Autrement dit, le peuple contre les élites.
Patrons et ouvriers
Les deux clubs turinois sont nés dans le même milieu de la jeunesse bourgeoise turinoise, même si, pour des raisons éthiques et de xénophobie sportive, Alfredo Dick, le président suisse de la Juventus, quitte le club bianconero, créé en 1897, pour fonder le FC Torino en 1906. La question sociale s’invite après la Première Guerre mondiale. La direction de la Juventus vient de lancer la construction d’un stade en béton armé sur le corso Marsiglia, au sud-ouest de Turin. Dans l’après-guerre, le football devient populaire, encore faut-il...
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